LA TRANSITION AU BURKINA FASO : DE LA NECESSITE DE RECADRAGE ET DE RECENTRAGE
Après 100 jours de pouvoir, et sans risque de se tromper, on peut dire que l’Etat de grâce dont bénéficiaient le Président DAMIBA et son équipe depuis le 24 janvier 2022 est terminé. Il faut que les autorités au Sommet de l’Etat acceptent de faire face à la réalité en gardant à l’esprit qu’elles sont responsables de la vie de 25 millions de Burkinabè.
Le Lieutenant-Colonel Sandaogo Paul-Henri DAMIBA et ses frères d’armes ont fait le coup d’Etat le 24 janvier 2022 suite au constat fait de l’incapacité notoire du Président d’alors, Roch Marc Christian KABORE et son régime du MPP et Alliés de juguler la crise sécuritaire.
Le coup d’Etat, bien que nous l’ayons condamné, a été perçu par nous comme une délivrance du peuple burkinabè. Il est intervenu à un moment où tous les Burkinabè, y compris les dirigeants du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), étaient désespérés face à la situation sécuritaire catastrophique, eux qui disaient, à qui voulait l’entendre, que l’armée burkinabè est une armée républicaine et qu’un coup d’Etat était impensable voire impossible. C’est d’ailleurs ce qui a fait que le Lieutenant-Colonel DAMIBA et ses hommes, qui étaient de parfaits inconnus du grand public, ont bénéficié d’un soutien populaire immédiatement.
100 jours après, l’impression générale qui se dégage, c’est que les raisons qui ont prévalu au coup de force militaire du lundi 24 janvier 2022, n’ont pas significativement changé et j’insiste sur le mot « significativement ».
Et même que l’on enregistre une certaine dégradation de la situation sécuritaire avec le contrôle par les terroristes de certains axes routiers comme Kaya - Dori ou Fada - Kantchari et Nouna- Dédougou et une recrudescence des attaques terroristes à travers le territoire national ces derniers temps comme, et sans être exhaustif, dans les communes de Sollé, Ouanobé, Pissila, Foubé, Pensa, Bourouma et Barsalgho dans le Centre Nord, Nouna dans la Kossi, Gorgadji et Dori dans le Séno au Sahel, Solenzo, Barakuy dans la Boucle du Mouhoun, Padéma dans les Hauts Bassins.
Peut-être que les nouvelles autorités ne veulent pas faire du tapage médiatique sur leurs actions sur le terrain, si l’on suppose que la communication sur les résultats engrangés peut amener les terroristes à mieux s’organiser pour revenir en force dans les zones qui auraient pu être libérées et où les populations auraient commencé à reprendre une vie normale.
Mais dans l’ensemble, si un sondage est fait, au sein de l’opinion publique, il en ressortirait que rien n’a changé au plan de la lutte pour éradiquer l’insécurité. Dans son premier discours le 24 janvier 2022, le Président DAMIBA a dit qu’il venait au pouvoir pour combattre le terrorisme et restaurer le territoire burkinabè et sauvegarder les acquis, ce qui explique le nom de son MPSR, le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration.
Je le cite : « La gravité de l’heure a imposé à notre armée une attitude que lui impose son devoir. Ainsi, les différentes composantes de notre armée nationale, dans une démarche consensuelle ont décidé d’indiquer la voie pour la restauration de l’intégrité de notre Burkina Faso et la sauvegarde des acquis de notre peuple chèrement acquis ». Cent (100) jours après sa prise de pouvoir par le MPSR, la vraie question que nous devons nous poser est celle de savoir combien de mètres carrés du Territoire national ont pu être récupérés et restaurés ? Et combien de Personnes Déplacées Internes (PDI) ont pu regagner librement leurs villages d’origine et repris leurs activités de la vie quotidienne ?
L’objectif premier de cette Transition est la lutte contre le terrorisme, mais on a l’impression que le Président DAMIBA ne se concentre pas suffisamment sur cette question essentielle et primordiale qui a permis son arrivée au pouvoir. D’où une certaine déception de plus en plus perceptible et grandissante dans la population et des sentiments de doutes de plus en plus perceptibles en prenant en compte les résultats escomptés. Tout se déroule comme si le Burkina Faso vivait dans une situation normale et même que les résultats des Conseils des Ministres n’en font pas mention.
Il faut donc recadrer la Transition et la recentrer sur son principal objectif qui demeure la restauration de la sécurité et la reconquête de l’entièreté du territoire national, du retour des millions de personnes déplacées internes dans leurs localités d’origine en toute sécurité pour conduire au retour du Burkina Faso à l’ordre constitutionnel normal, objectif ultime de Transition. Si l’on se réfère à la feuille de route présentée par le Premier Ministre Albert OUEDRAOGO à l’Assemblée Législative de la Transition le 1er avril 2022, et tirée de la Charte de la Transition, quatre priorités ont été retenues, à savoir :
• Lutter contre le terrorisme et restaurer l’intégrité du territoire ;
• Répondre à la crise humanitaire ;
• Refonder l’Etat et améliorer la gouvernance, et enfin,
• Œuvrer à la réconciliation nationale et la cohésion sociale.
Vu le temps limité qui est alloué à la Transition et compte tenu du travail et des moyens énormes qu’il faut déployer pour réussir la lutte contre l’insécurité et l’organisation des élections, il est clair que toutes les actions prévues dans la feuille de route du gouvernement ne pourront certainement pas être pris en charge. D’où l’urgence de recadrer er et de recentrer le contenu de la Transition tout en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas de temps pour l’apprentissage ni de place pour l’amateurisme. Si cela est entendu, un certain nombre de dispositions doivent être prises pour accompagner le déroulement de la période de la Transition afin d’atteindre les résultats escomptés, au nombre desquels :
∆ Le bannissement de l’exclusion et du mensonge dans la gouvernance, d’autant plus que ces deux attitudes ne permettent pas la construction de l’unité nationale, la cohésion sociale e le vivre ensemble. Ils aliment les divisions, les frustrations et la haine dans la société. Dans notre monde, l’exclusion et le mensonge n’ont jamais permis de construire un pays dans la stabilité et la durée.
∆ L’élimination des élans de populisme et de démagogie à travers les actions d’éclats et ponctuels qui ne produisent pas d’impacts positifs pour la nation.
∆ La garantie du soutien et de l’appui des partenaires du Burkina Faso à travers le monde. Ce qui passe par l’adoption et l’utilisation d’un langage très soigné et surtout pas provocateur à l’endroit des amis de la communauté internationale pour ainsi éviter de tomber dans l’engrenage des sanctions qui pourrait avoir raison du Burkina Faso, pays démuni et qui ne peut pas vivre dans l’isolement.
∆ La compréhension et l’acceptation des principes de la CEDEAO pour éviter la rupture surtout quand on sait que dans le contexte très difficile que vit le Burkina Faso au plan sécuritaire, la cherté de la vie augmente la souffrance de la population. Rappelons que le principe de tolérance zéro de la CEDEAO pour l’accession au pouvoir par des moyens inconstitutionnels s’applique au Burkina Faso conformément aux dispositions du Protocole Additionnel de 2001 de cette Institution, relatif à la démocratie et la Bonne Gouvernance. Et les positions déjà exprimées par l’Union Africaine et les Nations Unies indiquent qu’elles emboiteront le pas de la CEDEAO, tout comme les autres institutions, les pays amis, les partenaires et soutiens du Burkina Faso.
∆ Le retour à l’ordre constitutionnel, requis par la CEDEAO, l’Union Africaine, les Nations Unies et la Communauté Internationale, doit être traité comme étant même l’objectif principal et incontournable de la Transition. C’est la boussole de la Transition.
De tout ce qui précède, et si on est un patriote, on ne peut que reconnaitre en toute objectivité que les changements espérés de la Transition ne sont pas encore au rendez-vous et le Président DAMIBA et son Gouvernement n’ont pas le temps et les moyens pour couvrir ce qu’ils ont engagé. N’ayant donc pas les moyens de leur politique, ils doivent se résoudre à faire la politique de leurs moyens, en procédant avec humilité au recadrage et au recentrage de la Transition autour de l’éradication de l’insécurité et de l’organisation des élections dans un délai raisonnable.
Ce faisant, on évite d’échouer sur toute la ligne et ainsi décevoir le peuple. Il faut éviter qu’en 2025, la situation sécuritaire soit encore un argument pour justifier une éventuelle prolongation de le Transition, sinon le réveil du lendemain pourrait être encore plus douloureux pour tous les Burkinabè.
Dieu aime le Burkina Faso et lui tend la main. Il faut donc que les Burkinabè se donnent la main, se réconcilient entre eux et le Burkina avec lui-même et ainsi avancer ensemble avec amour et dans la solidarité pour la construction d’un Burkina Faso stable, sécurisé et en paix. Le Burkina Faso et notre bien commun, notre dénominateur commun et notre principale raison de vivre à tous.
« Rien n’arrête une idée arrivée à son heure »
Le Président
Dr Ablassé OUEDRAOGO
Commandeur de l’Ordre National