Depuis 2015, des attaques de groupes armés terroristes se multiplient au Burkina Faso. D’abord localisées dans certaines zones du pays, ces attaques se sont par la suite, étendues à l’ensemble du territoire national. Au total, l’on dénombre plus de deux cents (200) attaques enregistrées, ayant causé la mort de plus de cinq cents (500) personnes (civiles et militaires), plusieurs centaines de blessés, ainsi que la destruction des nombreux biens publics et privés.
Ces derniers mois, ces attaques terroristes ont connu une intensité particulière à travers la multiplication d’assassinats ciblés de personnes, l’utilisation d’engins explosifs improvisés et des attaques armées contre des patrouilles et des positions des forces de défense et de sécurité (FDS), des enlèvements de personnes, des attaques d’écoles et des menaces de mort contre le personnel enseignant, etc. Elles ont suscité une forte pression sur les autorités politiques et les FDS critiquées par une bonne partie de l’opinion pour leur incapacité à apporter une réponse appropriée à la menace terroriste. Plusieurs changements sont intervenus récemment aux ministères de la défense et de la sécurité, ainsi qu’à la tête de l’état-major général des armées.
L’état-major major général des armées a annoncé le 04 février 2019 avoir « neutralisé » cent quarante-six (146) terroristes au cours d’une opération de représailles contre des groupes terroristes. Le nombre élevé annoncé de terroristes « neutralisés », ainsi que les allégations d’exécutions sommaires reprochées aux FDS par des parents de victimes de l’opération de représailles ont conduit le MBDHP à diligenter une mission en vue d’établir les faits, situer les responsabilités et faire des recommandations aux autorités, afin que la lutte contre le terrorisme s’inscrive dans le cadre de l’État de droit.
Des constats réalisés par le MBDHP sur le terrain
Selon un communiqué de l’état-major général des armées en date du 04 février 2019, une attaque terroriste s’est produite dans la nuit du 03 au 04 février 2019, à Kain (province du Yatenga, Région du Nord). Toujours selon ce communiqué, l’attaque a fait quatorze (14) victimes civiles au sein de la population. En riposte à cette attaque, les Forces de défense et de sécurité (FDS) ont engagé des opérations dans les départements de Kain, de Banh (province du Loroum, Région du Nord) et de Bomboro (province de la Kossi, Région de la Boucle du Mouhoun). Cette riposte qui s’est faite par voies terrestre et aérienne a permis de « neutraliser » cent quarante-six (146) terroristes dans les trois (03) départements. Du côté des FDS, le communiqué fait état de blessés légers et indique qu’aucune perte en vies humaines n’est heureusement à déplorer.
Dès la survenue des évènements et au regard des informations qui lui parvenaient, le MBDHP a déployé dans les zones concernées une mission d’enquête. La mission a rencontré plusieurs témoins directs ou indirects des évènements. Les témoignages recueillis ont été recoupés et confrontés à plusieurs autres sources pour s’assurer de leur authenticité. Il en ressort divers éléments d’informations.
A Kain, localité située à environ 70 km de la ville de Ouahigouya, la mission du MBDHP a rencontré des personnes déplacées venues de Kain-Ouro, localité d’où seraient partis les évènements. Quinze (15) personnes ont été tuées dans ce village, dont huit (08) femmes. La mission du MBDHP a rencontré des familles de quatorze (14) victimes, dont certaines ont même assisté à l’exécution de leurs proches.
A Sounam, la mission du MBDHP a découvert un village abandonné de ses habitants, après le passage des militaires. Elle y a vu un amas de terre présenté par un témoin, parent de victimes, comme couvrant un charnier où seraient ensevelies neuf (09) personnes appartenant toutes à une même famille.
Dans le village de Tiabéwal, des témoins ont rapporté au MBDHP que vingt-deux (22) personnes ont été exécutées. Et selon les informations recueillies par le Mouvement, un seul rescapé a survécu à l’hécatombe. Ce dernier a été admis depuis le 05 février 2019 dans une formation sanitaire où il se soigne dans des conditions extrêmement difficiles.
A Guingui, neuf (09) personnes ont été exécutées. Le lendemain 05 février 2019, des militaires identifiés par des témoins comme appartenant au détachement militaire de Banh, seraient venus dans ce village pour bastonner plusieurs autres personnes.
A Daybara, un quartier de Banh, deux (2) morts ont été enregistrés au cours des évènements. Il s’agit d’un père de famille et de son fils, tués devant leurs proches. Lors du passage de la mission du MBDHP, seuls des femmes et des enfants étaient présents. Les hommes, eux, s’étaient réfugiés dans la brousse.
A Somme, un autre quartier de Banh, un père, son fils et son petit-fils ont été exécutés par ces mêmes tueurs. Cette situation a entrainé de graves violations de droits humains que les témoignages recueillis imputent à des éléments des forces armées nationales.
Des témoignages accablants contre les forces armées nationales
Les personnes rencontrées par le MBDHP mettent clairement en cause des éléments des Forces armées dans les tueries et autres violations des droits humains survenues à Kain et environnants. Ces témoignages mettent en exergue des cas présumés d’exécutions sommaires, d’atteinte à l’intégrité physique, ainsi que des déplacements de populations apeurées craignant pour leurs vies.
Cas d’exécutions sommaires présumées de personnes
Le MBDHP a relevé et documenté soixante (60) cas présumés d’exécution sommaires de personnes, commises le 04 février 2019 à Kain et environnants. Dans la plupart des cas rapportés au MBDHP, des hommes armés, en tenues militaires burkinabè et décrits par les témoins comme étant des militaires, ont encerclé des zones d’habitations, arrêté des personnes qu’ils ont par la suite exécutées froidement. Ces hommes armés étaient dans certains cas appuyés par un hélicoptère militaire. Les proches des personnes « neutralisées » nient tout lien entre les victimes et des groupes terroristes.
Ainsi, à Kain-Ouro, il ressort des témoignages que des hommes armés sont arrivés en voitures et à motos très tôt le 4 février 2019 aux environs de 4 heures du matin. Ils ont pénétré dans les maisons et ont abattu plusieurs personnes dans leurs maisons. Cinq (5) personnes au moins auraient été dans leur sommeil. Plusieurs témoins ont affirmé au MBDHP qu’ils ont aperçu, après les évènements, aux environs de 10h, ce 4 février 2019, un convoi de militaires burkinabè qui se dirigeait vers la frontière malienne. Ils auraient alerté ces militaires sur les tueries survenues au petit matin. Ces derniers leur auraient promis d’informer leurs collègues basés à Yensé.
Mais aucune mission de vérification n’a été effectuée en vue de constater les faits rapportés. Un témoin ayant perdu cinq (05) membres de sa famille a rapporté au MBDHP que « Des personnes non identifiées sont arrivées dans la cour très tôt vers 4h et ont commencé à tirer ; ce qui a créé une situation de panique totale. Nous avons tous fui pour nous cacher. Après leur départ, nous sommes revenus et avons constaté les cinq (05) morts. Chacune de ces personnes a été tuée pendant qu’elle dormait et aucune d’entre elles n’a jamais été interpellée auparavant par les forces de défense et de sécurité.
Nous n’avons aussi jamais appris que ces personnes menaient des activités illégales. Notre souhait aujourd’hui est que la vérité soit faite sur ces tueries, afin que nous puissions repartir vivre dans notre village » Un autre témoin ayant perdu huit (08) membres de sa famille, s’est confié au MBDHP en ces termes : « Je dormais dans ma maison quand, aux environs de 4 h, une de mes femmes est venue en courant. Elle m’a réveillé et m’a demandé de me cacher car il y a des personnes armées qui sont entrées dans le village. Je me suis alors enfui dans la brousse. De là -bas, j’entendais les tirs.
De retour après que la situation se soit calmée, je découvre que huit (08) membres de ma famille ont été tués. Ils ont tous été tués à l’intérieur des maisons. Ce sont des corps entassés les uns sur les autres que nous avons déplacés avec des taxis motos pour les enterrer à Kain dans la soirée du 4 février. Nous sommes désemparés et voulons la vérité. Nous voulons aussi la sécurité pour pouvoir retourner dans notre village ».
Enfin, un troisième témoin qui a perdu son fils a raconté son calvaire au MBDHP en ces termes : « Ce jour-là , je dormais dans ma maison quand un de mes fils m’a réveillé (…). Je me suis enfui. Et de ma cachette, j’entendais des coups de feu. J’ai aussi vu une personne armée qui a fait le tour de ma maison avant de rejoindre un groupe stationné plus loin à proximité de motos et de deux (02) véhicules. A mon retour dans ma cour, j’ai vu le corps de mon fils qui a été abattu à l’intérieur de sa maison. Je précise que je n’ai jamais entendu qu’il est impliqué dans quoi que ce soit. Après plusieurs heures d’attente, nous avons enterré sa dépouille dans la soirée sans qu’aucun constat ne soit fait. Et aucune autorité n’est venue nous expliquer quoi que ce soit ».
A Sounam, plusieurs témoins ont affirmé au MBDHP que des hommes habillés en tenues militaires burkinabè sont arrivés le 04 février 2019 vers 3 heures du matin sur des motos, alors que la population était endormie. Ils ont pénétré dans une cour et ont réveillé les victimes de leur sommeil. Après cela, les personnes réveillées ont été rassemblées à proximité de leur habitat, puis ont été froidement abattues. Il s’agit de membres d’une même famille. Un enfant de 17 ans ferait partie des personnes suppliciées. Les habitants de Sounam ont procédé à l’ensevelissement, de façon hâtive, des dépouilles de leurs proches le lendemain 05 février 2019, après avoir préalablement informé la gendarmerie de Thiou. Abandonnant tous leurs biens, ils se sont enfuis et sont réfugiés dans le village de Tiguem craignant, disent-ils, le retour des militaires.
Dans le village de Tiabéwal, les témoins rencontrés par le MBDHP affirment que des hommes en tenues militaires burkinabè sont arrivés le 04 février 2019 vers 10 heures. Ils ont encerclé le hameau de culture et ont fait sortir ses habitants de leurs maisons. Ils ont collecté les cartes nationales d’identité de tous les hommes adultes et les ont conduits sur une place publique avant de les exécuter. C’est ce village qui a payé le plus lourd tribut lors de l’opération de ratissage des FDS, avec vingt-deux (22) personnes exécutées.
Le MBDHP a pu constater l’existence de traces de sang séché et une quantité énorme de douilles de balles aux endroits présentés par les témoins comme lieux d’exécution des suppliciés. Des tombes, présentées comme étant les leurs, ont aussi été montrées au Mouvement. Là non plus, aucun constat n’a été fait sur les morts qui ont été enterrés en deux phases la nuit du 4 février 2019 puis le lendemain 05 février 2019. Un témoin a affirmé au MBDHP que « Les militaires sont arrivés dans le village le 04 février vers 10h. Ils étaient sur des motos. Ils sont entrés dans notre maison et ont pris mon grand-frère et mon cousin. Ils les ont regroupés avec les autres, non loin des maisons, avant de les exécuter. Après les avoir tués, ils sont repartis avec leurs cartes nationales d’identité ».
Traces de sang séché sur les lieux d’exécution sommaires présumées à Tiabéwal
A Guingui, les informations recueillies par le MBDHP révèlent que des militaires sont arrivés autour de 2h du matin à pieds. Ils ont réveillé plusieurs personnes de leur sommeil, les ont regroupés sur une place avant de les éliminer froidement. Ce village a ainsi enregistré neuf (09) personnes exécutées. Après ces exécutions, ils seraient repartis, emportant deux téléphones cellulaires appartenant à leurs victimes. Au lieu supposé des exécutions, la mission d’enquête du MBDHP a ramassé un nombre important de douilles de balles. La mission a également vu des huttes incendiées, ainsi que des tombes, présentées comme celles des victimes.
Des douilles de balles ramassées sur des lieux d’exécution Un témoin oculaire a affirmé au MBDHP que : « Les militaires sont venus taper à notre porte. Ils l’ont défoncée par la suite, pendant que nous étions dans la chambre. Ils sont entrés chercher mon mari et j’ai pris sa pièce d’identité pour la leur montrer et ils ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de cela, mais de mon mari. Ils l’ont emmené de force pendant que ses deux petits garçons de 09 ans étaient au salon. J’ai suivi jusqu’au dehors où ils l’ont tué avec les autres ».
A Daybara où deux (2) morts ont été enregistrés au cours des évènements, un témoin rencontré par le MBDHP met en cause des militaires en ces termes : « les militaires sont arrivés à moto vers 3h30mn du matin. Amadou était couché sur une natte. Ils l’ont fait sortir de la maison et l’ont mis à côté de sa moto. Ils ont tiré sur le réservoir de la moto qui a pris feu, avant de le tuer ». Deux (2) tombes ont été présentées au MBDHP comme étant celles des deux (02) hommes.
La mission a pu constater que ces derniers ont été sommairement enterrés par leurs proches qui avaient hâte de s’enfuir avant que ceux qui les ont exécutés ne reviennent. Pour preuve, lors du passage de la mission du MBDHP, seuls les femmes et les enfants étaient présents. Les hommes, eux, s’étaient réfugiés dans la brousse. Deux (2) tombes présentées au MBDHP à Daybara.
Au quartier Somme de Banh, un vieillard de plus de 70 ans, son fils et son petit-fils ont été exécutés selon le même mode opératoire. Selon les récits d’un témoin rencontré par le MBDHP : « Les militaires sont venus à moto entre 3h et 4h du matin. Ils ont d’abord réveillé le chef de famille (Larbou). Ensuite, ils sont allés réveiller son fils (BARRY Mamoudou) et son petit-fils (BARRY Moussa). Ils les ont conduits à moins de dix mètres de leur maison et les ont abattus ». Trois (03) tombes présentées au MBDHP à Somme.
Les témoignages recueillis par le MBDHP et dont certains sont cités plus haut, concernent soixante (60) cas de personnes tuées sur les cent quarante-six (146) annoncées dans le communiqué de l’état-major général des armées. Pour ces cas, ces témoignages remettent nettement en cause la version officielle diffusée par l’état-major général des armées notamment concernant le mode opératoire. Ils indexent clairement des éléments des forces armées nationales comme auteurs de crimes graves comme des exécutions sommaires de personnes, dont les proches nient catégoriquement tous liens avec des groupes terroristes.
Cas de violations de l’intégrité physique de personnes
A Sounam, des témoins ont rapporté au MBDHP qu’après leur forfait, les militaires ont bastonné une vieille dame de 72 ans, à qui ils avaient sommé d’indiquer la cachette de son époux. Celle-ci n’a dû son salut qu’au fait de conduire ses agresseurs sur la tombe de son défunt époux. Malgré tout, l’agression lui a coûté un bras fracturé. Une personne, que la mission n’a pu identifier, aurait également été blessée dans ce village. Elle était en soins dans un Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de la zone lors du passage de la mission.
Dans le village de Guingui, plusieurs sources ont indiqué au MBDHP que des militaires seraient revenus le 5 février dans ce village. Ils auraient arrêté, déshabillé et bastonné publiquement sept (7) personnes qu’ils ont relâchées plus tard. A ces cas de violations de l’intégrité physique de personnes, il faut ajouter des cas de destructions de biens privés, ainsi que le déplacement forcé de plusieurs milliers de personnes.
Destruction de biens et déplacement des personnes
Le MBDHP a pu noter une véritable psychose dans les zones visitées par sa mission. Cette psychose s’explique par l’ampleur et l’horreur des évènements survenus dans ces zones. En effet, outre les tueries, les populations ont subi la destruction de certains de leurs biens. À Sounam par exemple, les exécuteurs ont, en sus, incendié trois (03) motos, emporté deux (02) téléphones cellulaires, une (01) moto et pillé une boutique. À Guingui, ils ont incendié des huttes et emporté deux (02) téléphones cellulaires.
A Daybara, ils ont incendié une (01) moto. Image d’une moto incendiée à Sounam Face à cette situation, les populations de Sounam se sont enfuies et se sont déplacées dans le village de Tiguem, craignant, disent-elles, le retour des militaires. Dans leur refuge, elles disent également vivre dans la crainte d’une attaque des dozos de Kain et affirment ressentir une certaine méfiance de la part de leurs hôtes. Les populations de Daybara, quant à elles, s’étaient réfugiées en brousse, lors du passage du MBDHP. De même, la quasi-totalité des habitants de Kain-Ouro (excepté quelques personnes âgées, uniquement des hommes) s’est déplacée à Kain, où des parents les ont accueillis. Ils disent avoir perdu une partie de leur bétail et n’ont pas accès à leurs vivres, restés dans les greniers à Kain-Ouro.
Malheureusement pour ces populations, elles n’ont bénéficié d’aucun secours, ni d’aucune forme d’assistance de la part des autorités administratives. Lors du passage de la mission du MBDHP, elles étaient laissées à elles-mêmes et se sentaient totalement abandonnées ; ce qui naturellement les plongeait dans une extrême précarité.
Des zones d’ombres dans la version officielle
A l’issue de sa mission pour établir les faits, le MBDHP a noté plusieurs zones d’ombres dans le communiqué officiel de l’état-major général des armées. Pour mieux comprendre les évènements survenus le 04 février 2019 et dans un souci d’objectivité dans la conduite de sa mission d’enquête, le Mouvement a rencontré le ministère de la défense nationale et des Anciens Combattants (MDNAC) le 07 mars 2019.
Selon le ministère, les forces armées sont intervenues suite à des informations indiquant la présence d’éléments terroristes dans les zones concernées. Pourtant, le communiqué de l’état-major général des armées indique plutôt une opération de ratissage suite à une attaque terroriste dans la nuit du 03 au 04 février 2019. Toujours selon le ministère, les compte-rendus effectués par les éléments ayant conduit les opérations n’indiquent aucun cas d’exécutions sommaires de personnes.
Sur cette base, les autorités militaires réfutent à priori le fait qu’il y’ait eu des exécutions sommaires dans les localités sus-citées. Toutefois, dans un souci de recherche de la vérité, le ministre de la défense a adressé le 15 février 2019 une lettre au Directeur de la justice militaire en vue de la saisine du Procureur militaire pour investigations. Ce dernier aurait ouvert une enquête. Le MBDHP a émis le vœu que les résultats de cette enquête soient rendus publics dans un délai raisonnable.
En tout état de cause, le Mouvement rappelle que selon la version officielle, les forces de défense et de sécurité seraient entrées en action après une attaque terroriste survenue à Kain. Dans les faits cependant, c’est plutôt à Kain-Ouro, village situé à environ 7 kms de Kain, qu’une attaque a été menée par des hommes armés, dans la nuit du 03 au 04 février 2019. Plusieurs sources ont indiqué au MBDHP que les auteurs de cette attaque étaient vêtus de tenues militaires burkinabè. Les témoignages recueillis par le Mouvement à Sounam, Tiabéwal, Guingui, Daybara et Somme vont tous dans le même sens. Dans toutes ces localités visitées par le MBDHP, aucun combat qui aurait opposé des éléments des FDS à de présumés terroristes n’a été signalé au Mouvement. Pis encore, plusieurs témoins ont affirmé au MBDHP que ce seraient des militaires qui ont pris d’assaut des villages ou quartiers, le plus souvent avant le lever du soleil.
Ils auraient pénétré dans des concessions et n’auraient pas hésité à exécuter sommairement plusieurs personnes dont certaines dormaient dans leurs chambres. Et les proches des personnes exécutées nient catégoriquement tout lien entre leurs parents et des groupes terroristes. C’est fort de cette conviction que plusieurs parents de victimes nous ont par ailleurs informé avoir approché un avocat afin de saisir la justice, dans l’espoir que toute la vérité soit faite sur les circonstances des tueries de Kain-Ouro et environnants. Les témoignages recueillis par le MBDHP et qui mettent clairement en cause l’armée burkinabè, constituent des accusations dont le degré de gravité nécessite des investigations sérieuses, poussées et impartiales.
Par ailleurs, malgré les alertes données par les populations aux services de sécurité, aucun constat n’a été fait. Las d’attendre depuis plusieurs heures, les parents de victimes ont été obligés de procéder aux inhumations des dépouilles de leurs proches. Dans les localités touchées par ces tueries, la désolation, la consternation, la peur et l’incompréhension règnent désormais.
A Daybara, un parent de victimes, offusqué, s’est confié au MBDHP en ces termes : « Nous ne comprenons vraiment pas l’attitude des militaires. Supposons même que ceux qu’ils ont tués soient des terroristes, pourquoi ne pas les arrêter et les juger ? Peut-être même qu’ils auraient eu ainsi plus d’informations ».
CONCLUSION
Les éléments d’informations recueillis par la mission d’enquête du MBDHP mettent gravement en cause l’action des forces de défense et de sécurité. Cette action, au lieu d’inspirer un sentiment de sécurité aux populations, a plongé des familles et des communautés entières dans l’émoi, l’incompréhension et la peur. Les entretiens réalisés par le MBDHP indiquent clairement que des éléments des forces armées inspirent inquiétude et peur au même titre que les groupes terroristes. Les populations des zones visitées ne leur font pas confiance et en arrivent malheureusement, de plus en plus et pour la majorité d’entre elles, à comparer les exactions des forces de sécurité à celles des groupes terroristes.
C’est ce que confirment les personnes rencontrées par le MBDHP. Celles-ci affirment se retrouver prises entre deux feux. D’une part, elles sont prises à partie par les groupes terroristes qui n’hésitent pas à s’en prendre à elles lorsqu’elles sont soupçonnées de collaboration avec les forces de sécurité. D’autre part, elles subissent des actions de représailles des FDS qui les assimilent aux terroristes ou de complicité avec ces derniers. Ces populations vivant dans les localités couvertes par la mission d’enquête du MBDHP se retrouvent ainsi, à la fois, victimes du terrorisme et de la lutte anti-terroriste.
De façon plus inquiétante, du fait du grand nombre de victimes des opérations portant des patronymes peuls, ces actions contribuent à renforcer un sentiment de stigmatisation au sein de membres de la communauté peulh. Ceux-ci se sentent menacés du fait de leur appartenant ethnique. Cette situation constitue un grave danger pour l’unité nationale et la cohésion sociale. Elle constitue également l’un des principaux défis que la lutte anti-terroriste ne doit pas perdre de vue, car le Burkina doit éviter à tout prix de semer des germes d’une guerre civile. Enfin, il est évident que la contribution des populations est essentielle pour une issue victorieuse de la lutte anti-terroriste. Cette contribution suppose une culture et le maintien de relations de confiance entre les forces de sécurité et les populations.
Malheureusement, cette confiance est aujourd’hui inexistante à Kain et environnants. Dans ces conditions et compte tenu de l’état de choc dans lequel elles vivent aujourd’hui, il est extrêmement difficile, voire vain, d’espérer une quelconque collaboration dans le court et moyen terme entre les populations et les FDS dans la lutte contre le terrorisme dans ces zones. Pis encore, cette situation est totalement à l’avantage des groupes terroristes qui, selon diverses sources, n’hésitent plus à se présenter dans ces localités comme les défenseurs et les protecteurs de la communauté peulh et de la religion musulmane face aux dérives des FDS. Cette posture constitue leur principal argument pour élargir leur base sociale et gagner la sympathie des populations.
Pour le MBDHP, il est donc nécessaire d’entreprendre des actions urgentes pour rassurer les populations de ces zones et rétablir la confiance entre elles et les forces de sécurité. C’est pourquoi, le MBDHP formule une série de recommandations dont la mise en œuvre pourrait contribuer à éviter l’avenir des dérives dans la lutte anti-terroriste.
RECOMMANDATIONS
1. Aux autorités et acteurs politiques
- Veiller à assurer de manière effective et efficace, la sécurité des personnes et de leurs biens, sans discrimination aucune, sur toute l’étendue du territoire national ;
- Apporter toute l’assistance nécessaire aux populations victimes des tueries de Kain-Ouro et environnants sur les plans médical, social et psychologique, en vue de soulager leurs souffrances et leur apporter la solidarité et le réconfort de la Nation ;
- Mettre en œuvre des actions concrètes en faveur de l’Unité Nationale et de la cohésion sociale ;
- Prendre des mesures concrètes contre toutes les formes de stigmatisation et de discrimination basées notamment sur l’appartenance ethnique et/ou religieuse ;
- Dans la perspective enivrante de la conquête et de la gestion du pouvoir d’Etat, s’abstenir de semer des germes de guerre civile, en titillant la fibre ethnique, confessionnelle ou régionaliste de nos populations pour parvenir à ces fins.
2. Aux autorités judiciaires
- Mener des investigations sérieuses et impartiales sur les tueries survenues à Kain-Ouro et environnants ;
- Arrêter et juger tous les auteurs et commanditaires des violations graves des droits humains à Kain-Ouro et environnants.
3. Aux forces de défense et de sécurité
- Accentuer la formation des FDS en matière de droits humains et de respect des règles de l’État de droit ;
- Prendre des sanctions disciplinaires contre les éléments des FDS auteurs de violations de droits humains sans préjudice de sanctions judiciaires.
4. Aux militants et sympathisants du MBDHP
Œuvrer à la promotion et à la protection de la culture de cohésion sociale et de coexistence pacifique entre toutes les communautés en rejetant et en dénonçant toute attitude ou action tendant à stigmatiser des personnes, des communautés et/ou des religions.
Le MBDHP