Interview : « (…) mais finalement, qui voulons-nous pour diriger le Burkina Faso ? », Dr Zacharia TIEMTORE (ancien ministre, président de l’ISSH) Spécial

samedi, 11 février 2023 19:12 Écrit par  Modeste KONOMBO Infobf.net Publié dans Grande interview

Le Burkina Faso est dans l’œil du cyclone terroriste depuis près des sept (7) ans aujourd’hui, entrainant une instabilité au sommet de l’Etat avec trois chefs d’Etat en une année (2022) suite à deux coups d’Etat militaires, chacun pensant apporter « la bonne réponse » à la lutte contre le mal qui ronge le pays. Mais hélas, nous y sommes toujours en cette date du 08 février 2023 où nous rencontrons Dr Zacharia TIEMTORE pour une lecture croisée de la situation nationale. Docteur en Sciences de l’éducation et diplômé en Sciences politiques et en Sociologie, l’ancien ministre de l’alphabétisation du Burkina Faso (2011-2013) et député (2013-2014), a une autre approche plutôt atypique quant-à la réponse possible en pareille situation, lui qui, depuis plusieurs années, évolue dans la recherche, l’analyse stratégique et la formation autour de la problématique de la « sécurité humaine ». Co-fondateur et Président de l’Institut Supérieur de Sécurité Humaine (ISSH), voici l’essentiel des échanges que nous avons eus avec lui.

INFOBF.NET : Vous avez été ministre de la république et ensuite député. Mais depuis 2015, vous avez complètement disparu du champ politique. Que se passe-t-il ? Vous n’êtes plus intéressé par la politique?

Dr Zacharia TIEMTORE : [Rire] Je vous remercie de votre intérêt et de cette opportunité offerte d’échanger en cette période d’incertitude et de complexité, en ces temps difficiles que traverse notre pays. Pour être exact, j’essaie d’être discret et de prendre le temps de la réflexion. J’ai fait le choix de m’exprimer que lorsque je pense que mon propos peut apporter un éclairage ou ouvrir un champ nouveau des possibles. Donc depuis 2014-2015, j’ai fait quelques sorties médiatiques et notamment signé une tribune à la veille des élections de 2020, où j’appelais à une réflexion, à l’union et à des solutions audacieuses pour contrer la dégradation de la situation nationale. Car, aller seulement à des élections et désigner un président ne résoudraient pas les problèmes qui étaient posés. Oui, je me suis retiré de la politique partisane. Je me suis engagé très jeune en politique et pendant plus d’une dizaine d’années, j’ai beaucoup appris et donné de moi-même. Mais à un moment de votre vie, vous apportez ce que vous pouvez apporter et après il faut retrouver le réel, le quotidien de tout citoyen ordinaire. Pour moi, après ces belles années d’apprentissage et de don de soi, il était bon de prendre du recul et d’être utile autrement et c’est ce que je fais depuis 2015.

Mais peut-on s’attendre un jour à votre retour sur la scène politique au Burkina Faso ?

Il est vrai que je ne suis plus dans un engagement partisan mais n’empêche qu’il y a des causes qui me tiennent à cœur et pour lesquelles je me bats. Je continue à apporter ma modeste contribution par la réflexion, par l’action, c’est juste que je n’appartiens plus à un parti politique avec les obligations y afférentes. Je me suis donc retiré mais de quoi sera fait demain ? Je n’en sais rien ! Est-ce que demain me retrouverai-je avec d’autres citoyens et citoyennes pour porter un combat de nature politique ? Je n’en sais rien ! Tout dépendra de comment les choses évolueront, n’empêche que chacun de nous souhaite le meilleur pour ce pays et chacun doit faire sa part pour que ce meilleur advienne.

Vous êtes depuis lors, retourné à l’enseignement supérieur et vous formez des étudiants, entre autres, dans le domaine de la « sécurité humaine », selon le nom même de votre institut, l’ISSH. C’est quoi exactement la « sécurité humaine ? »

Cette notion de « sécurité humaine » est une notion qui me parait aujourd’hui fondamentale. Il s’agit d’une compréhension et surtout d’une façon de produire de la sécurité qui diffère de l’approche traditionnelle de la sécurité qui mettait en avant la sécurité des États. En effet, il y a quelques décennies de cela, les menaces étaient considérées comme extérieures et ce qu’il fallait, c’était d’avoir des forces capables de défendre les territoires, capables de protéger les frontières d’une agression qui viendrait de l’extérieur. Les luttes pour la paix et l’évolution du monde ont entraîné une remise en question de cette conception traditionnelle de la sécurité. Du reste, les principales menaces ont changé de nature. A côté du risque plutôt mineur qu’un État attaque directement un autre, il existe celui plus élevé d’un affrontement interne entre les communautés d’un même territoire lié à une faible sécurité humaine. Il ne s’agit donc plus principalement de défendre l’État contre une agression extérieure mais davantage de lutter contre les insécurités humaines pour répondre à une menace interne de plus en plus forte. En effet, si les frontières d’un territoire sont protégées et qu’à l’intérieur de ce territoire les individus ne vivent pas dignement, à l’abri du besoin et de la peur, alors on peut dire qu’il n’y a pas encore de sécurité sur ce territoire et que la paix elle-même est en danger. Donc depuis environ trois décennies, il y a cette volonté au niveau international de repenser la sécurité, sous l’angle de la sécurité des individus et non plus simplement et prioritairement de la sécurité des États. Mais les États étant constitués d’individus et d’institutions, si on parvient à construire une sécurité humaine forte, les individus deviennent eux-mêmes des pourvoyeurs de sécurité et des agents de paix. Une telle conception de la sécurité requiert que l’on change de grille de lecture et d’approche pour pouvoir penser la sécurité comme une donnée, un fait émanant des individus et des territoires. Concrètement, un individu a besoin de se sentir en sécurité (physique, sanitaire, éducative, alimentaire, environnementale, etc.) et on le voit bien actuellement dans certaines zones du Burkina Faso, où des hommes et des femmes, par manque de sécurité humaine ont pris les armes contre l’État, ce qui veut dire que c’est autour de l’humain que l’on doit construire la sécurité. Donc le phénomène de sécurité ou d’insécurité est lié à des schèmes de pensée totalement propres à l’humain et que c’est finalement cela qu’il faut essayer de comprendre et c’est là où il faut être présent.

Cela veut-il dire alors que le Burkina Faso avec la crise qu’on connait, n’a pas su lire et prévenir la problématique de « sécurité humaine ? »

         zakaria-tiemtore-interview-3                                                                    Dr Zacharia TIEMTORE, ancien ministre, Président de l’ISSH

Tout à fait ! Je crois que nous n’avons pas su anticiper ces éléments ni su faire la part des choses entre « une paix positive » et « une paix négative ». La première est celle qui permet de construire ensemble et d’atteindre dans des relations harmonieuses des objectifs communs durables en privilégiant le règlement pacifique des conflits. La deuxième est une paix instable, une paix en apparence qui est dépourvue de la sève nourricière que constitue l’inclusion ou le vivre ensemble en harmonie. Il arrive parfois qu’un État se contente d’une situation de paix négative en ne se donnant pas les moyens de construire durablement la paix. Au Burkina Faso, nous sommes tellement préoccupés par le présent et à trouver des solutions ponctuelles aux préoccupations du moment, que nous n’avons pas toujours suffisamment de temps, de capacité à prendre du recul sur certains évènements, à faire de l’analyse stratégique. Donc, être dans le piège de l’immédiat est quelque chose qui me semble toujours préjudiciable à long terme. Il nous faut savoir allier savamment les deux. A cet effet, nos pays devraient pouvoir se reconnecter d’abord à eux-mêmes, pouvoir identifier nos valeurs, et voir dans nos ressources immatérielle et matérielle de quoi nous disposons pour penser et organiser notre devenir. Oui, on peut dire que cette dimension humaine de la sécurité n’a pas suffisamment été explorée et dressée comme un chemin à emprunter, malgré l’interpellation de plusieurs d’entre nous. Dans nos États, nous n’allons pas chercher les causes racines de nos problèmes pour les traiter, nous prenons facilement les conséquences pour les causes et c’est pour cela que nous aboutissons notamment à des résultats mitigés.

[ (…) nous avons longtemps considéré que nous étions une Nation alors que la Nation est un construit, la Nation ne se décrète pas! ]

On peut dire que vos modules d’enseignement touchent les domaines où le Burkina Faso a le plus mal (Paix, sécurité, éducation, etc.), alors avec cette expérience, quelles sont les clés de sortie de crise envisageables ?

Cultivons déjà, l’humilité ! Vous savez, face à un problème, tout le monde pense avoir la solution. Parfois, on commet même ce qu’on pourrait appeler un péché d’orgueil, en pensant que la solution ne viendrait que de soi. D’emblée, comment chaque burkinabè pourrait faire preuve d’humilité en commençant par reconnaitre la complexité de la situation dans laquelle nous sommes et en se disant que ce n’est pas quelque chose qu’on peut résoudre comme ça, par un claquement des doigts. On continue par exemple de penser qu’il y a les bons burkinabè et les mauvais burkinabè, mais il faudra se rendre compte que ce n’est pas quelques personnes qui pourront trouver la solution, mais l’ensemble de la communauté nationale en dialogue permanent avec elle-même. Au-delà des discours, il faudra déclencher une dynamique qui montre que cette affaire est une affaire de tous. Il faut aussi parvenir à comprendre finement ce qu’est la nature du conflit sur notre territoire et parler de la réalité du tissu social national traversé par des divisions profondes. Nous avons longtemps considéré que nous étions une Nation alors que la Nation est un construit, la Nation ne se décrète pas. Il faut construire la Nation tout comme l’État. Aujourd’hui on doit se poser la question : qu’avons-nous fait sur ces deux sujets majeurs, quel État, et quelle Nation avons-nous construit ? Quelles sont les forces et les faiblesses de notre État et de notre Nation ? Qu’est-ce que nous pouvons faire pour consolider les forces et traiter les faiblesses. Cette question doit nous préoccuper et doit nourrir la stratégie de résolution du conflit car, vous ne faites pas la guerre à un frère comme vous faites la guerre à un ennemi venant d’ailleurs que vous ne connaissez pas. Parce que si vous voulez que la communauté continue de vivre, vous êtes obligés de prendre en compte la dimension fraternelle de ceux que vous combattez. Cela nous amène à nous poser des questions sur ce que nous n’avons pas pu et su faire en tant que communauté nationale. Nous devons alors nous regarder en face, nous interroger sur nos réussites et nos échecs, rechercher les causes en nous et parmi nous et c’est de cette façon qu’on arrivera maintenant à construire des solutions.

         zakaria-tiemtore-interview-2                                             Des nombreux tableaux aux messages de paix accrochés dans l’enceinte de l’ISSH.

Au vu de tout ce que vous dites quelle appréciation faites-vous des différentes réponses que chacun des régimes a tenté d’apporter pour lutter contre le terrorisme ? (Régime Roch Kaboré, Paul Henri Damiba et Ibrahim Traoré).

Ce que je vous disais tout à l’heure sur l’humilité est vraiment quelque chose qui m’habite. De ce fait, je considère que depuis 1960, chaque dirigeant que nous avons eu au Burkina Faso a voulu le meilleur pour ce pays, chacun a fait ce qu’il lui semblait bien pour ce Burkina. On commettrait une erreur que de croire qu’il y a des dirigeants qui ne souhaitent pas le meilleur pour le pays, en tout cas moi, ce n’est pas ma lecture des choses et ça change profondément l’approche. J’estime que chacun a fait de son mieux avec des résultats qu’on peut évidemment apprécier différemment. Sachez que quel que soit le meilleur fils ou la meilleure fille que vous mettrez à la tête du pays, tant qu’on restera dans la logique des bons et des mauvais, on continuera à les voir passer, les uns après les autres, avec des résultats qui ne seront jamais à la hauteur des espérances. Je pense que chacun a essayé à sa façon de conduire le pays vers un meilleur lendemain et que nul n’est parfait, mais il faut reconnaitre que nous les burkinabè, nous pouvons parfois être très contradictoires et cela m’amène à poser cette question : finalement, qui voulons-nous pour diriger le Burkina Faso ? On a l’impression que personne, aucun dirigeant ne trouvera grâce aux yeux des burkinabè et ça, à un moment donné, c’est préoccupant ! Où est-ce qu’on pense qu’on va sortir cette personne extraordinaire avec des solutions miracles pour le pays ? Non, il faut arrêter avec cette logique de l’Homme providentiel ! Peut-être qu’il faut que nous ayons un peu plus d’humilité, d’intelligence collective, d’écoute, de gestion collégiale…voilà pourquoi je vous disais que pour moi, la première des choses, c’est une humilité profonde qu’il faut développer.

Alors dans ces circonstances, comment entrevoyez-vous l’avenir du Burkina Faso dans 15 ou 20 ans ?

Il s’agit aujourd’hui de construire l’espoir sur du réel, de dire que cette crise complexe peut et doit être une opportunité qui s’offre à nous, de nous fortifier en tant que peuple. J’ai mis le doigt sur deux sujets qui me semblent majeurs, la question de la construction de l’État et de la construction d’une Nation équilibrée. Avec mon équipe, nous réfléchissons énormément sur ces sujets parce que nous pensons qu’il y a vraiment quelque chose à gratter, à trouver, à inventer. Donc si je me projette, je dirais que le Burkina Faso dans 20 ans sera un pays qui aura eu un passé très difficile, un pays qui aura saisi cette occasion pour construire une véritable Nation où chaque citoyen se sent appartenir à cette nation quelle que soit son origine ethnique, religieuse ou économique. Dans 20 ans, on aura construit un État qui nous ressemble où dans les quatre coins du territoire, les services publics ne seront pas simplement un mirage mais une réalité et que par l’éducation, nous aurons réussi à faire cette reconnexion à nous-même, cette reconnexion à nos valeurs, on aura construit des individus suffisamment en sécurité. Voilà pourquoi nous, depuis une dizaine d’années nous travaillons sur cette notion de sécurité humaine, parce que nous avons anticipé. A l’époque, au moment où nous démarrions, certains nous demandaient c’est quoi cette affaire de « sécurité humaine ? » Et la réponse que nous donnions, c’était que : « d’ici 15 ans, vous ne poserez plus cette question tant cela paraitra une évidence et les réponses connues de tous ». Déjà à cette époque nous sentions que cette course vers ce développement sans âme, produisait du désespoir, produisait de la misère, et que cette misère finira par s’exprimer et de façon très violente. Enfin, je crois que dans 20 ans, on aura aussi dans notre dispositif institutionnel des personnes spécialisées dans la réflexion stratégique et dans la prospective positive que nous saurons surtout écouter et questionner. De cette façon, on n’attendra plus qu’un problème survienne pour essayer, englués alors dans la mélasse, de trouver une solution rapide inefficace. On s’illustrera par une capacité à anticiper, une capacité à ne pas nier les divergences mais à les traiter courageusement pour construire des compromis solides protégés par tous. On saura alors construire des équilibres intelligents et robustes comme réponse à la complexité de notre monde.

 

Interview réalisée par Modeste KONOMBO

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