Les burkinabè ont été éprouvés sur le plan sécuritaire avec la multiplication des attaques terroristes ces derniers temps. Sur le plan social, l’on assiste à une fronde du fait des atteintes répétées du pouvoir contre les libertés démocratiques et syndicales, des suspensions massives des salaires, des coupures abusives des salaires, tout cela dans un contexte de multiplication de taxes, impots et autres mesures anti-sociales qui renchérissent le coût de la vie . Au plan sanitaire, deux mois après l’apparition officielle de la COVID-19 au Burkina Faso, les mesures prises par le gouvernement et les patrons de presse pour permettre aux hommes et femmes de médias de se protéger contre cette pandémie, demeurent insuffisantes. L’observation des reporters sur le terrain et les dispositifs dans les rédactions le démontrent. Dans un tel contexte, les journalistes sont beaucoup sollicités. Une sur-sollicitation qui tranche avec les conditions précaires dans lesquelles ils vivent et travaillent. Sur le plan de la liberté de presse, la révision liberticide du code pénal par l’Assemblée nationale le 21 juin 2019 a eu un impact négatif sur le travail des journalistes. Ils sont de plus en plus confinés loin des questions de sécurité. Dans la presse privée, la situation n’est guère reluisante. En effet, la convention collective des journalistes professionnels et assimilés, adoptée depuis le 6 janvier 2009, tarde à être appliquée par bon nombre de patrons de presse. Ainsi, de nombreux journalistes du privé vivent dans la précarité. Ils reçoivent pour la plupart des salaires de misère, ne sont pas déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) par leurs employeurs et ne peuvent par conséquent prétendre à une quelconque retraite. Dans certains médias, les journalistes utilisent leurs propres moyens de déplacement pour aller couvrir les reportages sans aucune assurance, avec tous les risques que cela comporte et parfois sans frais de carburant. Inutile de signaler que l’information est souvent collectée et traitée avec les outils personnels ! Cette précarité expose les journalistes à la course aux reportages les plus juteux et à tous les fléaux. Pour vivre décemment certains sont contraints de vendre leurs services à plusieurs organes de presse. Dans la presse publique, la situation est catastrophique. Les travailleurs de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) et des Editions Sidwaya sont les parents pauvres de la Fonction publique burkinabè en dépit de la spécificité de leur métier liée entre autres, à la charge de travail. Tout comme leurs confrères du privé, ces hommes et femmes de médias abattent un travail énorme. Ils n’ont pas d’heure fixe de début de service, pas de pause ou de descente. Ils ne connaissent ni week-end, ni jour férié. Dans bien des cas, leur matériel de travail est insuffisant et vétuste. Toute chose qui les oblige à recourir à leurs propres matériels pour remplir certaines tâches. Pour les travailleurs des médias publics (RTB et Editions Sidwaya) la solution, aux difficiles conditions de vie et de travail dénoncées par leurs organisations, viendrait du changement de statut (de celui d’Etablissement public de l’Etat à celui de Société d’Etat) acté par les lois sur la presse adoptées le 4 septembre 2015 par le Conseil national de la Transition. Malgré les multiples interpellations des travailleurs à travers de nombreuses actions de lutte et l’engagement pris par le gouvernement à travers le protocole d’accord signé avec le SYNATIC le 29 décembre 2016 afin de l’opérationnaliser, ce changement de statut peine à voir le jour. En lieu et place de la Société d’Etat, le gouvernement a proposé une dérogation aux règles de la comptabilité publique dans les médias publics dont les contours restent encore à définir. Pour exiger la finalisation des échanges autour du statut dérogatoire en faveur des médias publics, les travailleurs ont été de nouveau contraints d’aller en lutte. Au lieu de trouver des solutions à cette revendication, le ministre en charge de la Communication, Rémis Fulgance Dandjinou, a choisi de diaboliser le syndicat aux yeux des travailleurs à travers des tournées dans les différents organes. A la suite de cette tentative infructueuse de démobilisation des travailleurs, c’est la répression qui s’en est suivie. Des travailleurs ont été interdits d’accès à leur lieu de travail et le syndicat lui-même interdit de tenir ses rencontres dans les locaux des médias. Le paroxysme de la répression a été l’affectation arbitraire, le 2 mars 2020, de 370 journalistes et techniciens des médias publics (322 de la RTB et 48 des Editions Sidwaya) dans les directions centrales et régionales du ministère en charge de la Communication sous le prétexte de corriger leur situation administrative qui serait « irrégulière ». La moitié des expulsés sera ramenée dans les médias le 13 mars 2020 à travers un acte de « détachement d’office ». Les certificats de cessation de service ont été produits pour l’autre moitié le 25 mars 2020 et une note de service du ministre de la Communication interdit aux responsables de la RTB et des Editions Sidwaya de les programmer pour les émissions et les reportages. Ces journalistes et techniciens des médias ont été donc sommés de prendre service à la Direction des ressources humaines (DRH), à la Direction des archives et de la documentation (DAD), à la Direction générale des études et des statistiques sectorielles (DGESS), à la Direction générale des médias (DGM), à la Direction de la communication et de la presse ministérielle (DCPM) et dans les Directions régionales (DR) du ministère dirigé par Rémis Fulgance Dandjinou, porte-parole du gouvernement. Sont de ces journalistes et techniciens indésirés dans les médias, le Président de l’AJB, presque tous les membres du Bureau national du SYNATIC, les bureaux des sections SYNATIC de la RTB-Télé, RTB-Radio, des Editions Sidwaya, à Ouagadougou et dans les régions ainsi que les Points focaux SYNATIC. Par cette répression, les autorités affichent clairement leurs velléités de caporaliser les médias publics et de remettre en cause les acquis de l’insurrection dans le secteur des médias publics. Cette immixtion du politique dans les médias publics entache leur crédibilité. Cela a un impact sur le travail des agents qui sont exposés à la vindicte populaire lors de la couverture de certaines manifestations publiques et qui se voient souvent refoulés par certains manifestants qui jugent leur travail partisan. Ce fut le cas lors de la manifestation des commerçants du marché Nabi yaar, le 27 avril 2020, où les équipes de la RTB (Télé et Radio) ont été prises à partie. C’est le retour aux dérives des années pré-insurrection. Le recul observé dans les médias publics, l’AJB et le SYNATIC le dénonçaient déjà le 20 juillet 2016. En effet, le SYNATIC, lors de sa première assemblée générale tenue après l’insurrection populaire, le 12 novembre 2014 déclarait : « l’attaque des locaux de la Télévision nationale lors des manifestations des 30 et 31 octobre 2014 n’est rien d’autre que la conséquence directe de ces pratiques d’une autre époque visant à dénaturer le contenu des reportages au sein des médias publics ». Le recul en matière de liberté de la presse au Burkina Faso est logiquement perceptible dans le rapport sur l’état de la liberté de la presse 2019 du Centre national de presse Norbert Zongo et de celui de Reporter sans frontière où le Burkina Faso est passé de la 36e place (en 2018) à la 38e place en 2019. Toutes les deux organisations ont noté un recul en matière de liberté de la presse au Burkina. Depuis 2014, c’est la première fois que le Burkina Faso marque un recul sur le plan de la liberté de la presse ces six dernières années. L’horizon risque fort de s’assombrir pour la presse burkinabè quand on observe la tendance marquée par les difficiles conditions de la presse privée éprouvée par la COVID-19 et la crise qui stagne dans les médias publics. Les récents mouvements de personnels dans les médias publics loin d’être des affectations sont tout simplement des « dégagements » dignes d’une autre époque. Il ne s’agit pas d’affectations parce que tous les journalistes touchés par ces mouvements sont réduits à des agents de bureau au niveau central ou déconcentré. Remettre en cause le statut de tant de journalistes et techniciens des médias publics constitue à n’en point douter une atteinte grave et flagrante à la liberté de la presse. Au regard de tout ce qui précède, l’AJB et le SYNATIC félicitent les travailleurs des médias publics et privés pour leurs efforts au quotidien et pour les risques et sacrifices consentis pour la couverture de la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19. Par ailleurs, les deux organisations invitent : • les travailleurs des médias en particulier et les populations en général, à renforcer davantage le respect des gestes barrières contre la COVID-19 ; • le gouvernement et les patrons de presse à doter les médias et leurs personnels de matériels de protection adéquats contre la COVID-19 ; • le gouvernement à s’impliquer pour l’application effective de la Convention collective par les patrons de presse ; • le gouvernement à rapporter les affectations arbitraires de mars 2020 puis à finaliser les discussions autours du statut dérogatoire au profit des médias publics ; Ouagadougou, le 6 mai 2020 Pour l’AJB, Pour le SYNATIC, Le Président, Le Secrétaire général, Guézouma SANOGO Siriki DR
Situation dans les médias : L'AJB et le SYNATIC tirent la sonnette d'alarme Spécial
jeudi, 07 mai 2020 19:51 Écrit par Infobf.net Publié dans Mai 2020Ceci est une déclaration conjointe de l'Association des journalistes du Burkina (AJB) et du Syndicat national des travailleurs de l'information et de la culture (SYNATIC), sur la situation dans les médias au Burkina Faso, en ces temps de Covid-19.
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