L'avortement ou Interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisé au Burkina Faso depuis 2006. « L’avortement sécurisé » est une interruption de grossesse dans le cadre médical, selon une procédure recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pratiqué par un personnel qualifié dans un environnement adéquat. Après un avortement sécurisé, il est primordial que la personne concernée reçoive des soins appropriés. Elle a aussi besoin de conseils sur comment identifier une éventuelle complication, et auprès de qui rechercher de l’aide si besoin en est. Ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas, au regard des témoignages que nous avons recueilli.
C'est une femme célibataire de 32 ans. Elle a quatre (4) enfants. Tout en gardant tout l'anonymat, cette trentenaire explique son périple en tremblotant dans ses mots. Elle évoque son exemple qui ne serait pas forcément à suivre. Insistant clairement sur le fait qui l'aurait poussée à faire recours à l'IVG. Elle explique comment mentalement après une grossesse, son monde semblait s'écrouler autour d'elle. « Et avec un enfant à cette période, je n’allais plus pouvoir être ce que je suis et j’allais rater tout dans mes objectifs », lâche-t-elle, toute découragée. Avant de déclarer sous nos yeux ahuris : « Du coup, j’ai avorté ! ».
Et pour faire cet avortement, elle se rend chez une vieille femme qui avait une recette à base de tisanes qu'il fallait boire pendant trois jours. La guérisseuse lui avait indiqué que les effets du médicament étaient des douleurs atroces au ventre et lui recommandait aussi de prendre des produits calmants. « C’est cela qui ne m’a pas motivé », lance-t-elle.
Tout en se renfermant dans une sorte de culpabilité et de remords, une autre jeune femme célibataire de 15 ans, en anonyme, nous instruit aussi sur son aventure. Les soins, clame-t-elle, n’étaient pas bons. Elle souligne tous les produits avec lesquels elle se gavait étaient en eux-mêmes un risque de perdre sa vie.
Autre témoignage, c'est celui d'une femme célibataire de 19 ans qui affirme que les dangers de l'avortement clandestin sont légion. Visiblement, elle semble être bien réfractaire sur cette manière de faire. « Lorsqu'on avorte et qu'il se trouve que c’est mal fait, pour se soigner c’est la croix et la bannière au niveau des services sanitaires », s'exprime-t-elle.
Abondant dans ce sens, une étude a fait cas des difficultés liées à l’IVG et à l’accès aux soins après avortement. De ces difficultés et de ce qui est récurant on peut noter la fièvre, les pertes vaginales et l'utérus perforé qui nécessite pourtant une intervention chirurgicale.
Dr Geoges Guilla, l'enseignant-chercheur a reconnu que les femmes ont toujours besoin d’informations exactes sur l’IVG, puisque, convient-il, elles ne connaissent pas les conditions légales existantes. Les travaux de recherches de l'enseignant-chercheur à l'Institut supérieur des sciences de la population (ISSP), en disent long avec des chiffres d'une autre nature.
Les résultats de son enquête intitulée « Performance monitoring for action de décembre 2020 et mars 2021 » sont troublants. De ce rapport d'étude conduit par Dr Guilla, près de 3 femmes sur 10 ont recours à l’IVG et on note que seule la moitié d’entre elles ont eu recours à des soins après avortement dans un établissement de santé. Aussi, « 75% des femmes enquêtées ne savent pas qu’elles peuvent recourir à une IVG sécurisée dans certaines conditions qui sont prévues par la loi au Burkina Faso », peut-on lire dans le rapport.
Toujours selon les recherches de l'enseignant chercheur, l’IVG est fréquent mais elle varie selon le cycle de vie. L’incident annuel de l’IVG au Burkina Faso en 2020 est estimée à 23 IVG pour 100 femmes âgées entre 15 et 49 ans. Ce qui correspond à environ 113 000 par an. Avec un taux d’incident de l’IVG qui était plus élevé chez les femmes non mariées, les femmes sans enfant et parmi les femmes ayant un niveau d’études élevé et chez celles qui vivent en milieu urbain. Georges Guilla explique que les raisons pour interrompre une grossesse varient selon le cycle de vie qui est liée à la précocité des grossesses qui bousculaient les normes sociales et interféraient avec l’éducation.
" Quid de la loi au Burkina Faso ? "
Les spécialistes sont unanimes que ce droit à l'IVG constitue une avancée majeure pour les femmes qui souhaitent maîtriser leur fécondité. Diantre, qu'est-ce qui se passe au Burkina Faso ?
Fatimata Ouilma Sinaré est juriste et directrice de Gender Vision et Coaching (GVC). Elle tente de lever le voile en ce qui concerne la loi. D'entrée de jeu, il affirme : « Quand on parle de grossesse c’est faire un lien direct avec la femme. Cette loi sur l’interruption sécurisée selon la loi au Burkina Faso entre dans le cadre de la femme ». Elle informe que les conditions d'IVG selon la loi sur la santé de la reproduction, date de 2006. Aujourd'hui, poursuit-elle, « on enregistre des changements qui commencent à être adapter au contexte actuel.
En sus, formule la juriste, on retrouve cette partie de la loi au niveau du code pénal de 2018, au Burkina Faso. Elle convient que le postulat de base d'une IVG est qu'elle se déroule sur un plateau technique de santé qui remplit toutes les conditions de qualités et de normes requises au niveau des praticiens et des institutions internationales.
Pour Fatimata Ouilma Sinaré, la loi prévoit quatre conditions pour pouvoir bénéficier de cette interruption sécurisée de la grossesse. Elle attire l'attention sur cette exception faite à la loi, car, de principe, l’interruption de grossesse est interdite au Burkina Faso. Et de mettre en garde que « toute personne qui l'a pratique, s'expose à des pénalités en terme de prison et des paiements d’amende très élevé. Pourtant, insiste-t-elle, l’exception est « les quatre (4) conditions ».
Premièrement, s’exclame-t-elle, « lorsque la santé de la mère est menacée. D'ores et déjà, c’est le médecin qui doit le prouver. Deuxièmement, c’est quand il y a malformation au niveau du nouveau-né. En ce moment, le justificatif du médecin pourrait reposer sur le problème lié au bébé et cela de peur d'empiéter sur la vie du fœtus ou bien si le fœtus vient au monde la mère pourrait en pâtir ».
A l'écouter, les deux autres cas d'IVG qu’on peut retrouver le plus souvent, ce sont l'inceste qui est difficile à prouver et le viol aussi. Ici, continue-t-elle, « le hic est qu’il est difficile de prouver et les victimes rentrent difficilement dans leur droit. En signalant que l'ensemble des articles qui entrent dans le droit de la femme, Fatimata Sinaré notifie que tout ce qui touche à la femme, est un sujet sensible et à polémique dans notre contexte socio-culturel. Pour la juriste, les quatre conditions rejoignent directement celles du protocole de Maputo.
Quant-à Mady Dera, médecin référant de ABBEF, l’avortement sécurisé est une interruption de grossesse dans le cadre médical, selon une procédure recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pratiqué par un personnel qualifié dans un environnement adéquat. Les caractéristiques d'une saine IVG, c'est lorsqu'elle est pratiquée selon les normes et les protocoles en vigueur. La norme commande qu'elle soit pratiquée par un personnel qualifié car, une bonne évacuation de l’utérus (sang, tissus, embryon) est le signe d’un avortement réussi.
En plus, il y a l'absence de complications après l’avortement (pas de douleurs sévères, pas de saignements excessifs et prolongés, pas de fièvre). Sans oublier aussi que des saignements modérés peuvent persister pendant une à trois semaines.
Le droit à l’avortement sécurisé est reconnu par le code pénal du Burkina Faso. L'obtention d'IVG est possible dans les cas suivants.
En premier lieu, si la grossesse met en danger la santé de la femme. Secondo, s’il existe des anomalies fœtales reconnues incurables par un médecin lors du diagnostic. Tertio, en cas de viol. Quatro, en cas d’inceste.
Selon l'article 513-13 « L’interruption volontaire de grossesse peut à tout âge gestationnel être pratiquée si un médecin atteste après examens que le maintien de la grossesse met en péril la santé de la femme ou qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une maladie ou d’une infirmité d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. »
Sur le plan physique, on peut noter des saignements abondants ou persistants, des infections, des lésions du col de l’utérus, des cicatrices de la muqueuse utérine, des perforations de l’utérus, des lésions d’autres organes et dans certains pouvant conduire à la mort.
Sur le plan psychologique, l’avortement peut avoir des répercussions importantes. Certaines femmes peuvent avoir des sentiments de culpabilité, de tristesse, de dépression ou d’anxiété. Il faut noter que chaque individu réagi différemment et certaines femmes peuvent ne pas ressentir ces conséquences.
Et en rappel on peut noter que l’avortement n’est autorisé au Burkina que dans le cadre strict de la loi. Toutefois, des barrières persistent et limitent l’accès à l’avortement sécurisé selon cette même loi. Entre autre barrières, on peut citer la méconnaissance de la loi et des politiques par certains prestataires de soins de santé, les réticences de certains prestataires de soins en raison de leurs croyances ou des pressions sociales, la méconnaissance des dispositions et des procédures par les victimes elles-mêmes.
Dr François Xavier Gueswendé est médecin-gynécologue-obstétricien. Il est patricien au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO). D'entrée de jeu, il définit l’interruption de grossesse dite sécurisée. Pour lui, elle est pratiquée, par une personne qualifiée qui a les compétences et les informations nécessaires et se pratique dans un environnement qui respecte les normes médicales.
Dans les explications du gynécologue, l’interruption sécurisée est indiquée au Burkina Faso dans deux cas selon la loi. Dans son argumentation, il ressort que le premier est une raison médicale qui s'applique lorsque la grossesse met en péril la santé de femme ou s’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une maladie ou d’une infirmité d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic selon l'article 5133-13 du code pénal.
La deuxième, soulève le spécialiste, porte sur le viol ou l'inceste qui est que si la maternité de la détresse publique dans les 14 premières semaines de la grossesse. Et de révéler qu'au pays des hommes intègres, l’avortement est pratiqué dans 41% des cas par un tradipraticien et dans 21% des cas par la femme elle-même et seulement 3% sont pratiqués par un médecin.
En 2021, dévoile-t-il, le nombre d’avortements provoqués a été estimé à 25 pour 1000 femmes de 15-49 ans, soit un total de 105 000 avortements provoqués dans l’ensemble du pays. Dans l'annulaire statistique du ministère de la santé de 2020, il ressort que les complications liées à l’avortement constituent la 5e cause directe de décès maternel. Et de conclure qu'en 2020, ces complications ont été responsables de 1 111 décès maternels survenus au sein des établissements sanitaires.
Salamata NIKIEMA
Infobf.net