Burkina Faso : «Pourquoi faudrait-il que l’histoire se répète sans fin ?(...) », Me Arnaud Ouédraogo, avocat Spécial

jeudi, 02 novembre 2023 06:05 Écrit par  Infobf.net Publié dans Novembre 2020

Ceci est une tribune de Me Arnaud Ouédraogo, avocat inscrit au barreau du Burkina Faso. L'homme de droit fait un "récap" historique de faits, avec à la clé un certain nombre de questionnement. « Qu'est-ce qui n’a pas marché Â» pour le Burkina ? Lisez !

Nous avons perdu une belle occasion d’introspection collective, ce 31 octobre, date commémorative de l’Insurrection populaire. Le 31 octobre 2014, on a cru avoir irrémédiablement évincé la doctrine de « l’homme fort » par un serment en faveur d’institutions fortes. Qu’est-ce qui n’a pas marché pour que les acquis démocratiques arrachés au prix de la sueur, des larmes et du sang s’effondrent les uns après les autres sous nos yeux ?

Certes, de 2014 à ce jour, le terrorisme s’est invité dans l’affaire comme le troisième larron. Face à la menace terroriste, nombre de nos concitoyens ont eu la faiblesse d’appeler «l’Armée à prendre ses responsabilités ». C’était oublier que le terrorisme n'est pas une affaire exclusivement militaire et que l’Armée elle-même n’est pas à l’abri de la tentation politique. Nous voilà replongés dans le cercle vicieux du serpent qui se mord la queue où un homme fort chasse un autre homme fort pour s’emparer du trône.

L'Armée étant prise au piège des ambitions politiques, toute la confidentialité du Renseignement est étalée sur les réseaux sociaux. Nous n’avons plus une seule armée mais plusieurs factions. L’information étant verrouillée, c'est désormais à travers les tirs croisés entre deux cyberactivistes que les citoyens s’informent sur la marche du pays.

Pourquoi faudrait-il que l’histoire se répète sans fin ? Quand allons-nous clore le bal de cette tragédie politique ?

Les Burkinabè sont ainsi en train de ravaler tout ce qu’ils ont vomis hier. Même dans le pire cauchemar, personne n’a vu venir qu’en 2023, des Burkinabè planifieraient l’enlèvement d’autres Burkinabè, et personne n’a vu venir la conscription forcée de citoyens du fait de leurs opinions. Jusque-là, personne ne sait par quel ciel la loi sur la mobilisation générale et la mise en garde est tombée. Le Conseil constitutionnel a eu tort de cautionner une loi aussi mystérieuse. L’enrôlement de civils doit demeurer strictement volontaire.

La lutte contre le terrorisme ne saurait constituer une excuse absolutoire à toutes les dérives. Elle ne doit pas se concevoir comme une duplique de la terreur. Nous ne pouvons pas vaincre les terroristes avec les mêmes armes de la terreur. C’est Nietzsche qui avertit : « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même ». Pour n’avoir pas compris cela, un ancien ministre de la Défense avait juré, la main sur le cœur : « Nous allons terroriser les terroristes ». C’est assez symptomatique de voir que, même le régime civil n’a pas compris que la question du terrorisme exige une approche holistique.

Il faut deux doses de « génie civil » pour une dose de « génie militaire ». L’effort de paix civil doit s’allier à l’effort de guerre militaire. La contribution des civils dans la lutte contre le terrorisme doit aller au-delà de l’enrôlement militaire. Malheureusement, ce n’est pas à des militaires qu’il faut le dire. Dès lors qu’on a justifié le coup d’Etat par la nécessité d’une guerre totale, il est difficile d’intégrer une perspective non guerre au risque de se dédire.

Le moment est venu de libérer le médecin anesthésiste ainsi que toutes les autres personnes retenues arbitrairement. La conscription forcée de civils ne saurait être une mesure de rétorsion. Que jamais plus des Burkinabè n’humilient d’autres Burkinabè sur la terre sacrée de nos ancêtres. Au-delà des slogans, l'intégrité demeurera la seule unité de mesure de la sincérité des acteurs.

Nous n'avons pas encore exploré la portée éminemment stratégique de l'intégrité pour trouver les réponses aux défis de l'heure. Celui qui nous a baptisés du glorieux nom de « Patrie des Hommes intègres » savait pourquoi. Mais de lui, nous n'avons retenu qu'une mythologie de slogans pour se donner bonne conscience : colonialisme, impérialisme, panafricanisme, capitalisme, etc. Aujourd’hui, il suffit de se proclamer sankariste pour être infaillible et inattaquable, même si par ailleurs on est incapable d'évincer la corruption dans la gouvernance publique.

Dans les moments difficiles, chaque peuple doit chercher et trouver les points cardinaux de sa boussole pour ne pas se laisser entraîner par les vents impétueux. Il s'agit de bâtir une nouvelle espérance sur ce qui constitue les sept piliers de la Nation : la Liberté, la Vérité, la Justice, l’Unité nationale, l’Intégrité, la Sacralité de la vie humaine et le Rejet du pouvoir personnel. Un Burkina Faso plus grand peut sortir de l'épreuve qui nous assaille, car elle n’est pas au-dessous de notre commune intelligence. Nous avons suffisamment de ressources pour relever le défi de la concertation nationale.

Notre seul malheur, c’est notre rapport au pouvoir. Si nous parvenons à trouver le remède à l’instabilité politique chronique, nous déclencherons notre potentiel incommensurable. Et quand le Burkina Faso s'éveillera, le monde tremblera. Ayons le triomphe modeste. Asseyons-nous. Parlons-nous. Ecoutons-nous. Ni patriotes ni apatrides. Tous citoyens.

 

Me Arnaud OUEDRAOGO

 

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