Infobf.net : Nous réalisons cette interview dans un contexte où, le Burkina Faso vient de subir une attaque terroriste de grande ampleur avec la mort de plus de 51 soldats le 17 février 2023, sur l’axe Oursi-Deou. Quel commentaire faites-vous sur cette actualité ?
Me Hermann Yaméogo : je voudrais principalement et prioritairement saluer la mémoire de ces personnes décédées, compatir à la douleur des parents de ces derniers, morts pour la nation. Il faut reconnaître incidemment que le courage légendaire des burkinabè reste vivant car il faut décidément en avoir, pour s’engager dans des conditions aussi défavorables dans une telle guerre.
Le Burkina Faso malgré lui, engagé dans cette guerre depuis des années mais sans grand résultat, où se situe exactement le problème selon vous ?
Le problème pour moi se situe à plusieurs niveaux. Le premier honteusement banalisé par nos dirigeants, se trouve dans l’agression de la Libye et l’assassinat de khadaffi par l’OTAN avec pour principaux bras armés les dirigeants américains et français. C’est ce fait originel qui a ouvert la vanne pour déverser ces hordes sauvages à grandes eaux à travers l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Ne serait-ce que pour cela on aurait été en droit de voir ces puissants acteurs plus actifs contre les terroristes au Sahel, qu’ils ne le sont contre la Russie en Ukraine. Un autre problème, se constate dans les supériorités suspectes sur plusieurs plans (armements, renseignements, formations, moyens financiers…), et non encore officiellement élucidées des terroristes. La négligence coupable des pays voisins pour un secours organisé est un autre problème. Pourtant, l’adage est bien connu dans la région qui dit qu’il faut se hâter pour éteindre la case du voisin en feu, pour ne pas avoir à vivre la même chose en cas de vents contraires. En national il y’a surtout le peu de sérieux mis dès le départ dans cette guerre quasiment engagée en dilettante. Méconnaissance de logiques primordiales portant sur l’état d’urgence, les pleins pouvoirs, l’économie de guerre, la mobilisation générale pour une guerre totale. Toutes choses qui supposaient la mise au pas du politique, de l’économie, des parties de plaisirs par le militaire du fait des priorités reconnues à la guerre. Mais cela n’a pas été respecté et nous avons riposté à l’agression et continuons de le faire dans un climat de kermesse politique.
De façon générale, quelle est votre avis sur la conduite de la transition par les nouvelles autorités ?
Cette transition est un véritable melting-pot de bonnes et de mauvaises choses, de décisions matures et immatures, de fines visions mais flanquées d’une absence de réactivité. La refondation on la sent une réelle préoccupation des nouvelles autorités, mais visiblement on en voit pas l’approche stratégique baignée dans des réflexions partagées et relatives à la collectivité entière. La réévaluation de la politique de coopération en matière de défense est légitime mais là aussi, on reste sur sa soif s’agissant du déroulé. Les audits de certains services sont une chose à féliciter mais il faudrait en raison de la profondeur du mal, placer la question dans un cadre plus global intéressant l’Etat. Il y a ensuite en dépit de certaines bonnes intentions, comme un malheureux repliement sur soi même avec une affiche d’immodestie et des incohérences internes, qui déforment ou neutralisent l’action attendue. Cela explique son isolement grandissant.
C’est dans cette ambiance de crise socio-politique au Burkina, Mali et Guinée Conakry que l’UA maintien ses sanctions contre ces 3 pays et la CEDEAO en rajoute, avec interdiction pour leurs dirigeants, de voyager. Quelle appréciation faites-vous de ces décisions ?
Ces sanctions pour moi en réalité ne visent que l’augmentation des souffrances des populations pour exacerber les frictions et favoriser les conditions de renversement de ceux qui désobéissent aux diktats de puissances extérieures. Mais on peut dire qu’à quelque chose malheur est bon. Ces décisions pour mauvaises qu’elles soient pour le mieux vivre des populations, stimulent un sursaut de fierté et de dignité chez beaucoup qui ne sont pas dupes. Cela en faisant mieux ressortir une cabale internationale fera davantage comprendre que tout combat pour la liberté exige des sacrifices et que même arrachées de hautes luttes, ces libertés ne sont jamais définitives.
Quel est votre point de vue sur le rapprochement engagé par le Burkina Faso, le Mali et la Guinée Conakry ?
Me Hermann Yaméogo, président de l'UNDD
Pour moi, la CEDEAO ne fait pas un travail préparatoire d’intégration en faveur de l’unité politique du continent. Au contraire elle sape à la base les conditions de cette fédération en se constituant en relais des puissances qui se sont toujours opposées à cette union libératrice du continent. A quoi bon être dans une organisation qui non seulement, n’œuvre pas pour la fédération africaine par forme concentrique, mais se montre incapable de la moindre solidarité quand un des membres est sous grave menaces d’implosion. A ce rapprochement j’en appelais déjà du temps même de Roch Kabore en voyant venir une transition à l’exemple du Mali et l’évidence s’imposant qu’elle devra alors activer ce rapprochement pour être plus forte dans la résistance.
Croyez-vous à l’effectivité d’une Fédération entre ces trois Etats avec cette pression de la CEDEAO ?
Mon attachement à la fédération (tout comme à la réconciliation et à la refondation), ne date ni du MPSR I ni du MPSR II. Dans les années 1990 je créais déjà l’alliance pour la démocratie et la fédération ( ADF ) et le bimensuel le fédéraliste, en raison de cette passion. C’est vrai que les industries de désinformations et autres stories killers ont trouvé dans le lancement de cette quête de fédération par les trois États un terrain de prédilection pour y déverser ironies, méchancetés et saletés mélangées, mais je suis de ceux qui souhaitent plus d’imaginations et d’audaces de la part de ces trois pour la consolidation de cette œuvre. L’union fait la force. Si deux, trois, quatre Etats ou plus décident de s’unir, ils seront plus forts pour faire face aux défis actuels du monde. N’en parlons pas si ce sont tous les États du continent. Le problème c’est que ces genres d’unions ne se réalisent pas facilement par consentements mutuels. L’histoire des fédérations significatives à travers le monde en atteste. C’est plutôt par la force, la guerre qu’elle a été réalisé en Russie, aux USA, en Chine, au Brésil, en Afrique du Sud, en Inde et j’en passe. C’est donc une chance inestimable à saisir que cet accord des trois pays portant sur la fédération qui en Afrique, est nettement plus recherchée par les peuples que par les dirigeants. Que ces pays doivent s’apprêter à recevoir des coups tordus de la CEDEAO et d’autres partenaires est la chose la plus naturelle.Depuis les indépendances, nous assistons à ces entraves pour empêcher la constitution d’une Afrique qui reste toujours considérée comme le dépotoir et la réserve des grands de ce monde.
Les militaires français de l’Opération « SABRE » ont officiellement quitté le Burkina le samedi (18 février) dernier. Quelle est votre lecture de ce choix opéré par les autorités burkinabè ?
J’adhère au départ des bases françaises. Cela rétabli le consensus national forgé depuis le premier président sur la non présence de telles bases et cela met fin à une absurdité sinon à une présence maladive. On ne pouvait pas comprendre qu’en dépit d’une telle présence les capacités de réponses du pays contre l’agression terroriste soient si dérisoires. Mais contrairement au premier départ après indépendance, cela a eu lieu dans le bon ordre sans destruction de matériels, enterrement de mines dans des puis et champs comme à Bobo Dioulasso. La coopération pourra se concevoir sur des bases plus apaisées si la volonté y est.
Finalement quelle est, selon vous, la solution pour le Burina Faso pour gagner cette guerre contre le terrorisme ?
Je suis loin d’être détenteur de la solution magique. Comme tout le monde j’apporte ma contribution aux voies et moyens qui permettraient d’être en meilleure disposition pour relever le défi collectif de cette guerre. Évidemment il y’a les armes adéquats, les moyens de renseignements efficaces, le moral des combattants à garantir, mais avant d’appuyer sur la gâchette il y’a l’union sacrée par la réconciliation nationale victorieusement expérimentée par bien de pays. En le faisant et en apaisant les phénomènes de décohésions en milieu militaire, politique, religieux, communautaire notamment, nous aurions déjà un armement moral qui en guerre peut souvent aider à faire la différence. C’est pour cela que je n’ai de cesse de demander le retour des exilés dans la dignité, des mesures de grâce et d’amnisties pour les détenus politiques, la reprise des radiés si ce n’est toujours pas fait. Ces militaires expérimentés toujours embastillés alors qu’ils pourraient apporter leur contribution à la fin de la guerre, ce n’est finalement pas une option très regardante pour les malheurs de ce peuple, que les terroristes déciment avec application au quotidien. Il arrive parfois qu’un pouvoir pour rebondir soit obligé de se placer à la surprise générale dans l’axe où on l’attendait le moins. Il serait sage pour les nouvelles autorités d’y réfléchir vite et bien. Il y’a dans ce pays des forces qui leur sont opposées et souhaitent leur chute par ce qu’elles ont des agendas cachés, ou qu’elles entendent enterrer les audits, il en est d’autres qui ne souhaitent pas que notre pays se discrédite davantage en popularisant le coup d’Etat comme un mode d’alternance et de transmission normal et régulier du pouvoir. Pour ces derniers seul compte une gestion de la transition dans l’intérêt de la fin des souffrances du peuple et de l’aboutissement à des retrouvailles nationales pour reconstruire un avenir commun plus protégé et plus promoteur.
Interview réalisée par Modeste KONOMBO
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