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Interruption sécurisée de grossesse : Pour lutter contre la mortalité maternelle  Spécial

jeudi, 30 septembre 2021 10:24 Écrit par  Salamata NIKIEMA/ Infobf.net Publié dans Actu femme

Encore perçu de nos jours comme un risque pour de nombreux burkinabè, le recours à l’avortement « sécurisé » est pourtant devenu une alternative pour minimiser un tant soit peu la mortalité maternelle. Les femmes qui ont recours à cette pratique, la font clandestinement, même si la législation a ouvert des brèches pour leur accorder ce droit.

Selon l’Organisation du dialogue pour l’avortement sécurisé en Afrique francophone (ODAS), la recrudescence des cas d’agressions sexuelles, l’inceste et les grossesses à risque, sont des difficultés auxquelles font face les femmes. Selon Guttmacher Institute, environs 47 000 femmes meurent dans le monde, suite à des avortements non sécurisés et cinq (5) millions d’entre elles ont des séquelles graves après l’avoir pratiqué. Au Burkina Faso, toujours selon Guttmacher Institute, ce sont environs 105 000 avortements qui ont eu lieu en 2012 dont 50% de complications.

On note par ailleurs que 41% de tous ces avortements ont été réalisés suivant des pratiques traditionnelles, 25% par les femmes elles-mêmes, 25% par des sages-femmes et des auxiliaires de santé et 3% par des médecins.

« Une pratique légale mais, des perceptions différentes »

L’avortement clandestin ne devrait plus avoir droit de cité dans ce monde moderne. Sa pratique est aujourd’hui autorisée par le « Protocole de Maputo », ratifié par le Burkina Faso en 2003 et entré en vigueur en 2005, à l’alinéa 2(c) de l’article 14 portant droits reproductifs particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la vie de la maman et du fœtus. Au Burkina Faso, les articles 513-13 et 513-14 du Code pénal, révisé en 2018, en font cas.

De nos jours, les mentalités ont évoluées sur le sujet. Ainsi, Ouambi Sama, Chargé de suivi-évaluation au Réseau africain jeunesse santé et développement au Burkina (RAJS/BF) souscrit à l’idée de l’avortement sécurisé. Cette pratique, selon lui, se fait dans quatre circonstances. En cas de viol et de grossesse incestueuse, indique-t-il, « l’interruption de grossesse a tout son sens et sa raison d’être ». Pour les deux autres cas, Ouambi Sama évoque la malformation du fœtus et les risques sanitaires que peut encourir la femme enceinte. Cette mesure légale, relève-t-il, « protège la mère et la vie sociale ».

concours saly-2                                                       Ouambi Sama, chargé de suivi-évaluation du RAJS/BF

Celui-ci déplore le malaise pour une maman à éduquer un enfant issu d’une relation incestueuse ou d'un viol. « Cela  peut jouer sur la santé mentale de la mère. Car, ça lui rappelle des moments douloureux et de honte. Encore, la venue de l’enfant porte atteinte à sa propre vie », lâche-t-il.

Par contre, pour l’imam Cheick Abdoulhakim Ouédraogo, résident au quartier Karpala de la capitale burkinabè, le regard est tout autre sur le sujet. L’homme religieux fustige la pratique de l’avortement, quel que soit la forme. « L’avortement est considéré selon le livre saint, comme un meurtre », avise l’iman. Pour Cheick Abdoulhakim Ouédraogo, il existe trois étapes dans l’évolution d’une grossesse.

concours saly-3                                                            Imam Cheick Abdoulhakim Ouédraogo

Il explique que la première et la deuxième étape, respectivement au 40e et au 120e jour de la grossesse, le fœtus est devenu un humain. Dès lors, précise-t-il, « il est interdit d’avorter ». Sauf si, relève-t-il, la vie de la mère est en danger. La possibilité d’avorter, poursuit l’imam, peut être liée à la survenue éventuelle d’un danger constaté par un spécialiste de la santé.

Malgré cet état de fait, signale-t-il, « il est de notoriété publique que certaines personnes refusent d’attenter à la vie d’un fœtus ». Cette conception, note-t-il, voudrait qu’après naissance, celui-ci aura accès aux soins. L’imam Ouédraogo indique enfin que dans certaines circonstances de maladie contagieuse ou une maladie qui rendra la vie de l’enfant difficile, « il est possible d'avorter ».

« Méconnaissance et insuffisance d’application de la loi » 

Ce même point de vue est partagé par Benjamin Compaoré, libraire et fidèle catholique. « Dans les fondements de l’Eglise catholique qui est la préservation de la vie humaine, l’avortement est interdit », convainc-t-il. Ce vendeur de livres saints assène que l’avortement est une « mauvaise pratique ».  Pour lui, la vie que Dieu a donnée ne mérite pas d’être ôtée. Et de poursuivre qu’il y a cependant des cas qui peuvent conduire à l’avortement.

concours saly-4                                                      Binjamin Compaoré, libraire et fidèle catholique

« La grossesse à risque abouti à des dilemmes entre épargner la vie de la mère pour que vive l’enfant et avorter l’enfant afin que la mère vive », dit-il. Pour Benjamin Compaoré, l’avortement sécurisé est loin d’être une alternative crédible, car, il n’y a rien de sécurisé dans la pratique.

Le libraire s’offusque encore plus du fait du sous équipement de nos centres de santé. Aussi, il indexe « une insuffisance d’application de la loi contre les agents de santé indélicats qui s’adonnent à des avortements à risque ». 

Quant-à Georgette Lamoussa Zerbo/Nikiéma, présidente de l’Association pour la promotion des Sages-femmes et maïeuticiens du Burkina Faso (APSM/BF), la loi sur l’avortement sécurisé est peu connue de tous les acteurs et particulièrement des bénéficiaires. Ce qui, selon elle, entérine des avortements à risque, clandestins avec un taux élevé de morbidité et de mortalité.

Pour elle, si les conditions sont réunies, les risques deviennent minimes. Cependant, elle indique qu’il peut y avoir un sentiment de culpabilité. Dans ce cas de figure, elle cite le Code pénal de mai 2018 qui stipule en son article 513-13 que « l'interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée à tout age gestationnel si un médécin atteste après examens que le maintien de la grossesse met en péril la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître, soit atteint d'une maladie ou d'une infirmité d'une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».

concours saly-5                                          Georgette Lamoussa Zerbo/Nikiéma, présidente de l'APSM/BF

En évoquant son article 513-14, la présidente de l’Association pour la promotion des Sages-femmes et maïeuticiens du Burkina Faso fait ressortir que dans le cas de viol ou d’inceste, l’interruption de grossesse requiert l’établissement de la matérialité de la détresse par le ministère public. C’est sur cette base que la femme enceinte peut demander à un médecin de le faire, dans les quatorze premières semaines. 

Georgette Lamoussa Zerbo/Nikiéma informe que seul le médecin est habilité à poser l’indication d’interruption sécurisée de grossesse (ISG). Selon son explication, l’ISG est pratiquée par une personne qualifiée qui a les compétences et informations nécessaires. Et ce, prévient-t-elle, dans un environnement adéquat respectant les normes médicales.  

« Promouvoir la protection des droits reproductifs des femmes »  

Dr Awa Sawadogo est le point focal du Centre de l’organisation du dialogue pour l’avortement sécurisé en Afrique francophone (ODAS) au Burkina Faso. Pour elle, l’initiative de l’ODAS, composée de 9 pays, est d’éviter les avortements clandestins. Et de formuler que la mise en place d’un Centre pour mettre en évidence les besoins en matière d’accès aux soins de qualité relève de cette volonté à promouvoir les droits à l’interruption sécurisée de la grossesse selon la loi et aux soins après avortement.

Cela va se concrétiser, ajoute-t-elle, à travers une concertation élargie avec la société civile pour une évaluation de l’état des droits sexuels et reproductifs.

concours saly-6                                                                 Awa Sawadogo, Point focal/ODAS

A cet effet, le point focal énumère l’action majeure de sa structure qui est d’organiser des réunions régionales de dialogue autour de l’interruption de la grossesse selon la loi et les soins après avortements. Ce cadre, certifie-t-elle, va rassembler les membres et alliés de l’ODAS, pour un apprentissage partagé. Par ailleurs, Dr Sawadogo décline les prérogatives des différents Etats de l’ODAS.

Elle avance que l’article 014 fait cas du droit à la santé et au contrôle des fonctions de la reproduction. « L'assurance de ces droits d’exercer un contrôle sur leur fécondité, l’accès des femmes aux services de santé adéquats, à des couts abordables et à des distances réduites nécessitent une attention particulière de la part des Etats francophones », affirme-t-elle avant d’ajouter que l’accent doit être mis sur l’éducation et la communication pour les femmes qui vivent en milieu rural.

Ces mesures, a dit Dr Sawadogo, visent à fournir des services adéquats aux femmes pré et post natales et nutritionnelles. Le suivi se fera pendant la grossesse et la période d’allaitement conclu-t-elle.

 

Salamata NIKIEMA

Infobf.net